Le Green IT, nouveau défi majeur de la transition écologique ?

Le Green IT, nouveau défi majeur de la transition écologique ?

Avec la croissance des évolutions technologiques, on assiste à une véritable révolution numérique en cours. Cependant, celle-ci a des impacts importants sur l'environnement qui paraissent invisibles et qui risquent d'augmenter sans une réelle prise de conscience et des actions. Découvrons dans cette première partie, la réalité de la pollution numérique.

 

Par son côté invisible et « dématérialisé », la pollution numérique reste méconnue de 73% des français (1) . Pourtant, avec aujourd’hui 10% de l’électricité mondiale consommée et 4% des émissions globales de gaz à effet de serre (GES), la pollution numérique ne peut être négligée (2) .

 

Selon Greenpeace (3) , l'accélération et la poursuite de la transformation digitale de nos sociétés et de ses usages sont de plus en plus énergivores (énergie fossile) et polluants. En 2025, les experts (4) prévoient que, sans changement de nos pratiques, le numérique consommerait 20% de l’électricité mondiale et rejetterait, au niveau mondial, 8% du GES (14% en 2040). Ainsi, le numérique serait alors plus polluant que le transport mondial.

 

La question de la pollution numérique se pose alors tout autant que celles des causes diverses et connues du réchauffement climatique. Dès lors, une véritable prise de conscience générale s’effectue pour imposer à l’agenda politique et économique des solutions et décisions pour transformer l’informatique et le numérique en une technologie responsable et durable.

 

 Où en sommes-nous ? Que faire ?

 

Pour réussir ce défi de l’informatique verte (green IT), il faut, en priorité, saisir les enjeux et les réalités du problème sans tomber dans un fatalisme caricatural. En décrivant alors la situation, nous constaterons qu’au-delà des risques bien présents, des solutions existent que ce soit au niveau du citoyen ou des acteurs économiques et politiques.

1ère partie :

La pollution numérique : rendre visible ce qui est invisible

Depuis plus de 30 ans, le débat politique, économique et social évoque régulièrement le sujet de l’écologie et du réchauffement climatique : nul ne peut désormais ignorer les enjeux environnementaux de notre siècle, que l’on soit écologiste convaincu ou climato-sceptique.

 

On en retient certaines recommandations : il faut manger plus sain afin d'encourager une agriculture moins chimique, modifier nos habitudes de production et de consommation en consommant plus local et plus éthique, favoriser l’économie circulaire… Modifier nos habitudes de transports par des usages plus verts (train, vélo, etc.)

 

Pourtant, il existe une source de pollution qui ne semble pas s’ancrer au cœur de notre prise de conscience environnementale : la pollution numérique.

 

En effet, quand on pense réchauffement climatique et pollution, nos esprits imaginent les entreprises chimiques, l’agriculture intensive et autres transports aériens ou routiers. C’est-à-dire une pollution visuelle, olfactive que personne ne peut nier.

 

Qui pourrait penser au service de vidéos en streaming Netflix, aux réunions en Visio, sans compter tous les appareils informatiques que nous cumulons (smartphones, tablettes, ordinateurs, etc.) ? Pendant cette période de pandémie, le numérique et ses bienfaits nous sont même apparus comme garants de progrès pour l’environnement : moins de déplacements grâce aux visios et le télétravail…

 

Cependant, experts et ONG ne sont pas forcément du même avis : voici quelques chiffres pour vous donner “chaud” dans le dos (5)  :

 

 

Quels sont les facteurs principaux de cette pollution numérique ?

Les sources de la pollution du numérique se divisent en trois grandes parties : les terminaux, les réseaux et les data centers. En réalité, bien avant d’arriver dans les magasins, l’essentiel de la pollution est déjà effectué. Ainsi, si toutes les étapes du cycle de vie du numérique ont un impact sur l’environnement et la société, certaines sont plus lourdes que d’autres.

 

AdobeStock_187044041

Responsable numéro 1 : la fabrication des terminaux

La responsabilité de la pollution numérique (GES) est à 66% liée aux terminaux :

 

Le bilan GES du numérique

Source : Rapport Green IT (4)

 

Les voici dans l’ordre de leur empreinte carbone : téléviseurs, ordinateurs portables, smartphones, box Internet, écrans et consoles de jeux. (5)

 

Ainsi, à contrario des clichés, ce n’est pas l’utilisation qui pèse le plus dans l’impact environnemental du numérique mais bien sa fabrication.

 

Pourquoi ?

 

Les terminaux numériques parcourent des milliers de kilomètres le long d’une chaîne de fabrication complexe et mondialisée, allant de l’extraction minière des composants (dont les métaux rares) à l’assemblage du produit fini dans les pays du Sud pour finir par leur transport vers le lieu de vente dans les pays du Nord (6). 

 

Un processus qui entraîne alors de nombreux impacts environnementaux et sociaux

 

  • Parlons en premier lieu des matières premières : les équipements numériques nécessitent pour leur production presque 50 à 350 fois leur poids en matières premières qu’il faut importer dont une quantité importante de matériaux rares (6). L’extraction de ces minerais est coûteuse pour l’environnement : elle exige beaucoup d'énergie fossile, d'eau et de ressources. On parle alors de “pollution importée”

Exemple : un ordinateur portable contient des dizaines de métaux en provenance du monde entier : du tantale congolais, du lithium bolivien, de l'or australien ou encore des terres rares chinoises.

 

Ces ressources rares ainsi exploitées seront manquantes d’ici 10/15 ans posant ainsi la question d’une économie soutenable et durable pour les années à venir. De plus, pour extraire, séparer et purifier ces métaux, il faut de nombreux produits chimiques polluants

 

Exemple : en Chine, les acides sulfuriques et chlorhydriques polluent les cours d’eau et forment des montagnes de déchets à l’origine de nombreuses maladies chez les riverains (villages-cancers) (7)

 

  • Au niveau social, n’oublions pas dans le monde ces nombreux hommes, femmes et enfants qui travaillent dans des conditions dangereuses pour extraire ces matières premières. Selon l’UNICEF, 40 000 enfants travailleraient dans les mines de coltan et de cobalt en République démocratique du Congo (8) .

  • Parlons énergie et empreinte carbone : l'utilisation de l’énergie locale des pays où la production d’électricité repose en majorité sur le charbon ou le pétrole (Asie ou États-Unis) et on peut ajouter à cela l'épuisement des ressources naturelles : minerais rares, bois et eau. (9)

Exemple : dans la région de Baotou, en Chine, l'extraction des terres rares entraîne d'importants rejets toxiques dans l'air, l'eau et les sols.

 

Pour une industrie dont on vante la “dématérialisation”, il apparaît ici, au contraire, qu'elle nécessite beaucoup de matières et cela de manière croissante tout comme son besoin en énergie.

 

Rappelons que les 3 principales sources d'énergies utilisés dans le monde sont des énergies fossiles ( Pétrole, gaz naturel et charbon) pour 84,3% de la consommation énergétique mondiale. L'empreinte carbone du numérique n'est donc pas négligeable vu son côté énergivore. Les énergies renouvelables sont cependant en progression de 0,5 points.

 

Une production en hausse poussée par les pays du Nord et l’obsolescence

 

On produit et on achète de plus en plus : +11 %/an entre 2017 et 2020. Green IT prévoit une multiplication par cinq de la taille de l’univers numérique entre 2010 et 2025 (10) . 

 

Une croissance imputable aux pays des Suds qui s’équipent mais aussi aux pays du Nord qui se suréquipent (5) ! Le numérique des pays émergents ne représentera en réalité que 13% de l’énergie totale consommée par le numérique dans le monde en 2023.

 

Sans compter, qu’avec la croissance des nouveautés technologiques et l’obsolescence programmée ou non, nos équipements durent moins de 2 ans. Entre 1985 et 2015, la durée d’utilisation d’un ordinateur a ainsi été divisée par 3, passant de 11 à 4 ans (Green IT, 2017).



Responsable numéro 2 : le réseau et son utilisation

 

AdobeStock_318278449

 

Les réseaux, ces autoroutes des données, doivent être alimentés en énergie, tout comme les terminaux eux-mêmes (téléphones, etc.). Plus d'équipements, plus de trafic et plus d'internautes forment une importante consommation d'énergie.

 

Plus d’utilisateurs donc plus d’utilisations, or chaque utilisation porte à conséquence.

 

Exemple : on génère 0,2 g de CO2 pour une requête Google et on génère 0,3 g à 4g pour un mail (11) (12)

Parlons de l’impact des mails

C’est connu, nos boites mails pèsent pour l’environnement. (12)

 

Exemple : "33 mails de 1 Mo à deux destinataires par jour produirait 180 kg de CO2 par an, soit l’équivalent de 1 000 km parcourus en voiture" (12)

 

Si un mail émet 19 g de CO2 avec une pièce jointe d’1 Mo, alors on peut minimiser son impact. Pourtant, avec les 34 millions de mails qui sont envoyés toutes les heures, cela donne l’équivalent de 14 tonnes de pétrole. Et si l’on sait que 75% des emails reçus sont des spams et que 60% des mails ne sont jamais ouverts, il y a de quoi désespérer ou avoir l’envie de faire un urgent tri.

 

Cependant, Frédéric Bordage, créateur de Green IT, interrogé par 20 Minutes, estime que « Ce qui coûte d’un point de vue environnemental, lorsque l’on envoie un mail, est le temps que l’on passe à l’écrire et à le lire. Puis viennent l’étape du transport, et enfin celle du stockage. Autrement dit, en supprimant ces vieux mails, on agit sur 0,0005 % de notre pollution numérique” (13) .

 

Parlons du streaming

Selon le think tank The Shift Project (2) , la consommation de streaming vidéo (VoD, pornographie, YouTube, réseaux sociaux, etc.) émettrait près de 1% des émissions mondiales de CO2, un score inférieur à l'empreinte carbone des terminaux mais préoccupant vu la croissance de consommation de vidéos.

 

Une des raisons principales est le poids des fichiers consultés avec l’augmentation de qualité des vidéos sur les plateformes type Netflix ou Amazon Prime Video. Le streaming vidéo correspond à 60% des flux de données sur Internet. Et Netflix ? 15% à lui tout seul. (19)

 

Au total, la consommation mondiale de streaming vidéo émet 300 millions de tonnes de CO2/ an dans le monde (équivalent à la pollution numérique de l'Espagne) !

 

Exemple : visionner 10mn de vidéo stockée sur le Cloud équivaut à la consommation électrique d’un smartphone sur 10 jours

 

Responsable numéro 3 : les pilliers du cloud, les data centers

 

AdobeStock_306432800

 

« Au XIXe siècle, on construisait des gares, au XXe des autoroutes et des aéroports, au XXIe siècle, on fait des réseaux de câbles et des data centers » Fabrice Coquio, directeur d’Inerxion

 

L'humanité n’a jamais engendré autant de données : tous les 2 jours, la population mondiale produit autant d’information qu’elle n’en a générée depuis l’aube de son existence jusqu’en 2003 ! (14)

 

Où sont stockées ces données ? Dans des data centers. Selon Data Center Map, il y en aurait 4 500 répartis dans 122 pays. (14)

 

Les data centers sont de gigantesques usines du numérique qui stockent les données du net et celles des entreprises (mail, photos, vidéos, jeux, etc.) et utilisent pour se faire des milliers d’ordinateurs, serveurs afin d'assurer une disponibilité de contenus et d’activités 24h/24, 7j/7. Ces immenses hangars ont donc besoin de beaucoup d’électricité, de beaucoup de place et, généralement, de climatisation. Cette climatisation, nécessaire pour refroidir les serveurs représente 30 à 40% de la consommation totale d’électricité qui se nourrit en grande majorité du charbon, les rejets de CO2 sont donc conséquents. (15) (16) 

 

Exemple : en France, les data centers consomment en moyenne 5,15 MWh/m2/an. En somme, un data center de 10 000 m2 consomme en moyenne autant qu’une ville de 50 000 habitants. Et 40% de cette consommation électrique est utilisée uniquement pour les refroidir. (17)

Parlons du Cloud, au coeur des data centers

Votre site Internet est hébergé non pas sur un seul serveur mais dans le Cloud, le “nuage”. (18)

 

Le Cloud Computing, l’hébergement dans le cloud, consiste en plusieurs serveurs qui sont connectés constamment sur un même réseau pour assurer le bon fonctionnement des sites. Le développement du Cloud Computing a un impact important sur la consommation mondiale d’électricité et rejette du dioxyde de carbone.

 

Leader sur ce marché : Amazon Web Services (AWS). Il détient plus d’un tiers du marché et surtout plus de la moitié des 10 000 sites les plus visités au monde (Netflix, Spotify, Apple, Airbnb…). Début 2018, l’ONG Greenpeace observait que 50 % de l’approvisionnement en électricité d'AWS reposait sur les énergies fossiles, tandis que 17% s'appuyait sur des énergies renouvelables.

 

De plus, les serveurs hébergeant des services Cloud sont souvent situés loin du point d’appel initial. Exemple : Amazon Web Services (AWS), la partie service cloud d’Amazon, a une majorité de ses serveurs Européens en Irlande.

 

La pollution numérique est-elle inévitable ?

 

Le bilan de cette synthèse sur la pollution numérique mondiale est sans appel : plus on « dématérialise », plus on utilise de matière et d’énergie. Si l’on comprend bien que certaines étapes du monde numérique sont plus polluantes que d’autres, on prend conscience que tous sont concernés que ce soit les acteurs économiques, politiques ou les citoyens.

 

La révolution numérique, véritable progrès, semble encore bien inachevée et promet toujours plus de solutions innovantes à venir. Ces nouveaux outils ont considérablement transformé nos modes vie et doivent pouvoir continuer à le faire. On imagine mal un retour en arrière même si le thème de la sobriété numérique est au goût du jour.

 

Alors que faire ? L’important est déjà de prendre conscience de cette empreinte numérique pour accompagner cette révolution par des solutions permettant que l’informatique devienne plus verte ou que le numérique soit plus responsable. Contrairement à ce que laisse penser parfois certaines innovations, elles ne sont pas vraiment “dématérialisées” et de nombreuses entreprises se sont, par conséquent, déjà avancées sur le terrain des solutions pour passer au Green IT.

 

Ces solutions adoptées ou envisagées par des entreprises, le gouvernement ou des ONG, c’est ce que vous pourrez découvrir dans la seconde partie de notre article.

 

 

 

Sources :

(1) Etude sur l'écologie digitale : Internet pollue et beaucoup !

(2) « Climat : l'insoutenable usage de la vidéo » : le nouveau rapport du Shift

(2) https://www.monde-diplomatique.fr/2021/10/PITRON/63595

(3) Pollution numérique : comment la réduire ?

(4) https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019-10-GREENIT-etude_EENM-synthese-accessible.VF_.pdf

(4) https://alliancegreenit.org/media/page-groupe-de-travail/livre-blanc-sensibilisation-grand-public.pdf

(5) La pollution numérique : on en parle ? - Verda Mano

(6) Les métaux : des ressources qui pourraient manquer ?

(6) Transition numérique et métaux stratégiques – Inter-Environnement Bruxelles

(7) Dans l’enfer des «villages du cancer» chinois

(8) 40 000 enfants fabriquent votre smartphone - Green IT

(9) Apple utilise-t-il de l'étain clandestin pour ses produits ?

(10) Quelle est l'empreinte environnementale du numérique mondial ? - Green IT

(11) Empreinte carbone : après Apple et Microsoft, Google et Facebook visent le "Zéro CO2" pour 2030

(12) Quelle est l’empreinte carbone d’un mail ?

(12) Pollution Digitale: 10 Chiffres Effrayants - Cleanfox

(13) Profiter du confinement pour réduire sa pollution numérique, utile ou pas ?

(14) Big data : des chiffres et des chiffres

(14) Applications : qui consomme le plus de data aujourd'hui ?

(15) Les data centers, impératif économique mais casse-tête écologique

(16) Quelle empreinte carbone pour l’industrie des jeux vidéo ?

(17) [VIDEO] Les data centers à la recherche d'efficience énergétique

(18) Le cloud pollue davantage qu’un simple nuage

(18) Quel impact environnemental pour le Cloud ?

(19) Amazon ou la pollution en nuages

Inscrivez-vous 
à nos newsletters par communauté